Ce que vous allez lire aujourd’hui est le résultat d’un long processus qui a pris plus d’une année. A l’origine il y a ma frustration personnelle de ne pas voir de traduction du livre du fondateur du Shiatsu, Tenpeki Tamaï, dans aucune langue étrangère. J’ai par la suite créé le groupe Facebook « History of Shiatsu » pour réunir des informations et regrouper des passionnés de Shiatsu capables de trouver des informations historique sur notre art ainsi que pour soutenir mon ami Viorel Mihai pour qu’il puisse un jour écrire cette histoire du Shiatsu (c’est en cours). Grâce à cette communauté j’ai lancé un appel international pour la traduction de ce livre dont nous ne savons rien, ce qui est proprement hallucinant alors que tout le monde se vante du faire du Shiatsu « traditionnel ». L’incroyable Billy Ristuccia nous avait déjà fait le cadeau de traduire la table des matières de cet ouvrage sur notre groupe, ce qui était déjà un premier pas. Mais finalement, grâce à l’intervention de notre ami Brian Skow, c’est l’immense professeur Stephen Brown qui a répondu à l’appel. Coéditeur du NAJOM (North-America Journal of Oriental Medicine), acupuncteur, praticien de Shiatsu, traducteur et auteur, il s’est engagé à traduire par épisode ce livre fondamental pour tous les shiatsushi du monde. Stephen Brown m’a ensuite donné l’autorisation de traduire ses articles en français pour les partager auprès du public francophone. La version anglaise est disponible sur le site du NAJOM. Dans ce premier article, il dresse un tableau général du Shiatsu avant de commencer la traduction proprement dite. Découvrir les origines c’est ENFIN pouvoir parler en toute connaissance de cause de ce qu’est le Shiatsu et ENFIN de pouvoir s’ancrer dans une tradition. Son travail est donc fondamental. Je vous laisse maintenant en sa compagnie.
Par Stephen Brown
Traduction : Ivan Bel
Le Shiatsu a été une partie importante de ma pratique depuis plus de 35 ans. En fait, lorsque j’ai pensé retourner au Japon où j’ai été élevé lorsque j’étais enfant, afin d’étudier la médecine traditionnelle japonaise, je m’intéressais surtout au Shiatsu et aux thérapies manuelles (appelé ryojutsu), y compris le reboutage. Mais les choses avançant je suis devenu plus praticien d’acu-moxa, mais je n’ai jamais renoncé à mes racines Shiatsu.
En raison de l’importance qu’il accorde à l’équilibre des méridiens, j’ai étudié le style Masunaga (Zen Shiatsu) qui est appelé Keiraku Shiatsu (Shiatsu des méridiens) au Japon. Malheureusement, peu de temps avant que je me mette à étudier dans sa clinique, Masunaga décéda d’un cancer. J’ai appris le Shiatsu des méridiens de ses meilleurs étudiants et, dans ce processus, j’ai été impressionné par la manière dont Masunaga a ancré son travail dans les classiques et les techniques de travail corporel du Japon, y compris le Sotai récemment créé. J’ai traduit le texte final de Masunaga sur les « Exercices des méridiens » de façon à étudier et mieux comprendre le point de vue de Masunaga sur le Shiatsu et la vie.
La tendance dans le monde de la médecine extrême-orientale est de positionner la pratique savante des herbes au sommet de l’art, l’acupuncture et la moxibustion quelque part en dessous, avec le Shiatsu et le travail corporel tout en bas de l’échelle. Il y a bien moins de littérature sur la théorie et la pratique du Shiatsu qu’il n’y en a sur l’acu-moxa et certainement sur les herbes. Cette même hiérarchie était évidente en Chine lorsque j’y suis allé pour étudier la MTC en 1984. Pour une raison quelconque, la guérison par les mains est considérée comme moins puissante que ses homologues dans la médecine traditionnelle. Je crois qu’une des raisons de la moindre valorisation du travail corporel est due au fait qu’elle les effets sont très liés au praticien et à son charisme.
L’une des phrases préférées de mon professeur d’acupuncture, Shudo Denmei, explique cela très bien : « Hari wa hito nari » ou « l’acupuncture est une expression de cette personne ». En d’autres termes, la valeur de l’acupuncture ne tient pas seulement dans la technique, mais aussi de la connaissance, de la vision du monde, de l’esprit – tout va ensemble. Avec le travail manuel, il n’y a pas d’outils, pas de substances, juste le guérisseur et les mains. Il n’y a pas beaucoup de temps ni d’intermédiaire pour que se fasse l’effet placebo. Il faut beaucoup de confiance pour s’attaquer à la maladie avec rien d’autre que nos mains. C’est un peu comme se battre sans armes. Le pouvoir et le charisme d’un guérisseur de terrain ne s’apprennent pas si facilement.
J’aime ce défi, mais je dois admettre que j’en suis venu à compter sur l’aiguille et le moxa pour compléter mon régime thérapeutique. Pourtant, les fondateurs du Shiatsu essayaient de convaincre le public que toutes les maladies peuvent être soignées par simple pression du doigt. Historiquement, le principal travail corporel au Japon a été l’Anma. Importé de la Chine de la dynastie Tang, l’Anma s’est transformé en divers styles japonais comme c’est le cas pour tous les autres les importations continentales, y compris le bouddhisme.
Le problème de l’Anma au début du XXe siècle, lorsque le Shiatsu a vu le jour, était qu’il était le domaine exclusif des praticiens aveugles. L’Anma avait stagné pendant des siècles et était devenu une profession de bas étage pour la récupération et la détente, en association avec les stations thermales. À part quelques guérisseurs doués, la plupart des Anma étaient pratiqués par des hommes peu instruits et sans aucune connaissance de la médecine, traditionnelle ou moderne. Et bien sûr, le Japon se modernisait rapidement sur tous les fronts.
C’est là que les fondateurs du Shiatsu entrent en scène. Il s’agissait d’hommes voyants qui avaient accès à de la littérature sur les techniques corporelles traditionnelles, notamment le reboutage ainsi que les dernières publications de médecine occidentale, y compris l’ostéopathie et la chiropratique, qui ont particulièrement suscité leur intérêt. Ils ont eu des aspirations plus élevées – rétablir les soins manuels à leur place légitime en tant que technique curative. Il y avait un bon nombre de praticiens ayant cet objectif, mais Tenpeki Tamaï a été le premier à dénommer sa technique simplement comme « Shiatsu » (pression des doigts). Et le nom a pris racine pour représenter cette pratique déjà très diverse à cette époque – pressions, étirements et manipulation du corps pour soigner de la maladie.
Je ne connaissais pas le texte Shiatsu-ho de Tamaï jusqu’à ce qu’un de mes collègues m’envoie une copie PDF. C’est le premier texte de ce genre et il a été le point de départ de nombreux praticiens japonais. C’était la bible de la mère de Masunaga et de nombreux autres pratiquants de Shiatsu qui ont étudié la méthode de Tamaï. Bien que ce texte ne soit plus utilisé dans aucune école au Japon, il constitue une ressource précieuse qui donne un aperçu des racines du shiatsu. Dans le site de Japonais d’Amazon, ce texte est décrit comme suit :
« Il s’agit d’une réédition du célèbre texte du fondateur de la thérapie Shiatsu, Tenpeki Tamaï. Le Shiatsu est une thérapie manuelle unique qui s’est développée au Japon. Elle est née du do-in et de l’ankyo (koho anma) dans la Chine ancienne et est devenue la thérapie manuelle empirique du Japon qui comprenait des techniques prémodernes de reboutage et de réanimation du Judo. Mais à l’époque Meiji (1868-1912), les théories et les techniques de l’ostéopathie et de la chiropraxie de l’Ouest y ont été incorporées. À l’époque Taisho (1912-1925), Tenpeki Tamaï a inventé le nom « Shiatsu » et l’a systématisé dans cet ouvrage. Voici donc le texte source du Shiatsu, qui détaille les techniques de shiatsu (pression des doigts), du hakuatsu (compression) et du yokuatsu (occlusion). Il comprend des méthodes pour renforcer les organes abdominaux, les organes thoraciques, le cerveau et la moelle épinière ainsi que les organes des sens et les membres. En outre, on y trouve des méthodes de prévention de diverses maladies ainsi que des mesures de premiers secours et, de plus, il y a des instructions sur la thérapie spirituelle des mains, la lecture de l’esprit et de comment créer des suggestions. Il énumère également les points de Shiatsu indiqués pour divers symptômes afin d’en faire un texte complet. En outre, la brochure « Les secrets de la thérapie Shiatsu pour soigner les maladies » ont été ajoutés à la fin de cette réédition. Elle détaille les enseignements oraux de Tamaï, issus de ses 20 années de pratique, d’investigations et d’expériences ».
Ce serait toute une entreprise de traduire ce classique du shiatsu. Au début, j’ai envisagé d’écrire simplement un article sur le texte de Tamaï pour le NAJOM. En y regardant de plus près, j’ai découvert que près de la moitié de ce texte concerne la médecine occidentale. Il aborde avec force détails l’anatomie et la physiologie occidentale et la pathologie du début du XXe siècle. Bien sûr, certaines de ces informations sont dépassées et les lecteurs occidentaux ne cherchent pas de telles choses dans un ouvrage de Shiatsu. L’orientation médicale occidentale de Tamaï fait sens dans le contexte du Japon des débuts de l’ère moderne qui essaye de se légitimer face au monde et rattraper son retard par rapport à la science et à la technologie occidentales. Le lectorat de l’époque aura été impressionné par la perspective moderne appliquée à son approche unique du travail corporel.
Il y a quelque chose de cohérent dans la façon dont les praticiens japonais prennent ces informations scientifiques et médicales pour les inclure comme une couche supplémentaire dans leur système de compréhension et dans leur pratique. Ceci fut certainement vrai pour mon premier professeur, Shudo Denmei. Il peut soutenir le paradigme du Qi côte à côte avec le biomédical sans y réfléchir à deux fois. Quoi qu’il en soit, je crois que la valeur réelle du texte de Tamaï pour les lecteurs modernes réside dans les parties qui expliquent ses techniques et sa perspective unique du corps humain et de ses soins. Je vais donc passer ces sections sur la médecine occidentale et traduire uniquement les parties qui concernent spécifiquement le Shiatsu et partager mon point de vue à ses côtés. Junji Mizutani a utilisé cette approche pour discuter des passages de Shinkyu Shinzui, le récit de Shirota Bunshi sur la pratique de la moxibustion de Sawada.
Je commencerai le premier volet de cette série dans le prochain numéro. Pour conclure cette introduction, j’ajouterai également une partie des commentaires de Shizuto Masunaga sur le texte de Tamaï dans son article « L’histoire du Shiatsu ».
Je pense que le mérite de Tenpeki Tamaï est d’avoir donné à cette technique le nouveau nom de « Shiatsu ». Et afin de lui donner une base rationnelle, Tamaï a introduit les connaissances médicales occidentales modernes (dans son livre). L’affirmation de Tamaï était qu’avec la pression des mains et des pouces, on peut guérir et prévenir les maladies et améliorer la santé. En outre, il a répandu cette technique thérapeutique appelée Shiatsu, a organisé des cours et a enseigné à de nombreuses personnes. Il a utilisé un livre qu’il a écrit sur la base de ses expériences. Ce livre de Tamaï a été publié pour la première fois en 1939. Je crois qu’il a révisé et mis à jour son manuel pendant ses cours, et qu’il en a fait un texte merveilleux.
Il a regroupé tout son matériel didactique et l’a mis dans un seul volume intitulé Shiatsu-ryoho (Méthode thérapeutique Shiatsu). Il a utilisé l’ajout à son nom « fondateur de la méthode Shiatsu ». À l’époque, plusieurs livres similaires avaient été publiés, y compris la collection Hirata, mais la fierté de Tamaï fut d’être le premier à donner à cette méthode le nom de Shiatsu et de pouvoir l’écrire sur la page de titre de son livre. Les praticiens du shiatsu de l’époque ont reconnu Tenpeki Tamaï comme fondateur de la méthode Shiatsu en raison de ses recherches. Ils ont tiré un bénéfice concret de son travail qui a finalement abouti à la publication de son livre.
Traduction : Ivan Bel
L’auteur
- Les racines du Shiatsu : Shiatsu-ho et Tamai Tenpeki, 5 - 08/11/2022
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