Interview : Mike Mandl, organisateur du Congrès Européen de Shiatsu (ESC) 2017

6 Nov, 2017
Reading Time: 15 minutes

Si vous ne voyagez pas en Autriche pour aller faire du Shiatsu, alors vous ne connaissez surement pas Mike Mandl. Pourtant c’est un praticien d’expérience, un professeur passionné, un homme reconnu pour son Shiatsu jusque dans les hôpitaux de Vienne. Mais c’est surtout un homme plein de feu qui est à l’organisateur du dernier Congrès Européen de Shiatsu qui a eut lieu à Vienne en septembre 2017. Avec lui nous revenons sur son parcours, le défi de l’organisation d’un tel événement et surtout sur la mission qui lui tient à coeur : créer un Shiatsu européen qui soit reconnu comme une thérapie à part entière.

Ivan Bel : Cher Mike bonjour. Je suis très heureux de cette rencontre. Avant de commencer les questions techniques, pourriez-vous vous présenter rapidement ?

Mike Mandl : Cher Ivan, merci pour l’invitation. Concernant mon background, hé bien, je viens d’une famille avec une longue tradition médicale. Aussi, il aurait semblé évident que je poursuive la tradition, surtout parce que j’étais très influencé par mon grand-père qui était un chirurgien reconnu. Mais je me souviens d’un épisode de mon enfance où je pensais : « pauvre grand-père. Tout ce qu’il peut faire c’est d’essayer de réparer quand tout va déjà de travers. Ne serait-ce pas mieux si les gens ne tombaient pas malades du tout ? ». Cette pensée fut comme une étincelle et quelque chose a pris feu en moi : la quête de chemins et de moyens pour maintenir la santé en bon état et pour prévenir la maladie. Du coup, on peut dire que mon intérêt pour les médecines alternatives débuta très tôt dans ma vie. À l’âge où mes copains d’écoles partirent pour étudier à l’université, moi j’étudiais des approches de santé holistique comme la méditation, le mouvement, la nutrition et le massage. C’est un peu « presque » logiquement que j’ai fini dans le Shiatus, parce que pour cette approche combinait tout cela à la fois. J’ai eu beaucoup de chance d’étudier avec Tomas Nelissen[i], l’un des rares disciples directs de Masunaga. J’ai choisi Tomas parce qu’il travaillait déjà à l’époque avec le Shiatsu dans les hôpitaux et c’est exactement ce que je voulais, dans la droite ligne de ma tradition familiale, mais en l’approchant par l’autre bout, là où la maladie commence et peut-être empêchée. Tomas et moi avons eu d’étroites relations en Shiatsu et j’ai étudié et travaillé avec lui intensivement pendant 25 ans, ce qui m’a finalement amené à l’étape qui est de reprendre le flambeau, son héritage et l’Académie internationale du Hara Shiatsu de Vienne dont je suis le directeur à présent. Une autre influence importante pour moi vient de mes études de MTC avec Claude Diolosa. La MTC est très orientée vers la pratique thérapeutique, bien plus que le Shiatsu, mais elle m’a toujours inspirée et permis de trouver combien l’approche énergétique est efficace, y compris dans les maladies graves. J’ai donc tenté de combiner davantage le Shiatsu avec les connaissances en MTC et de faire évoluer le Shiatsu en une thérapie holistique et efficace, qui à mon sens devrait avoir une place majeure et reconnue dans les futurs systèmes de santé. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons fait le congrès européen de Shiatsu à Vienne avec pour thème « le Shiatsu comme thérapie », afin d’évaluer les possibilités et les opportunités de présenter le Shiatsu comme thérapie.

Comment était l’enseignement de Tomas Nelissan ? Difficile, facile, à la japonaise ou à l’occidentale ?

Lorsque j’ai débuté avec Tomas, c’est très « à la japonaise ». Tomas avait vécu pendant assez longtemps au Japon, travaillant étroitement avec Masunaga, aussi je pense qu’il lui a pris sa manière d’enseigner qui était plus ou moins « enseigner en faisant ». Tomas entrait dans la salle de classe, choisissez une personne avec qui travailler et c’était parti. Nous étions là juste à le regarder en essayant de comprendre ce qu’il faisait et pourquoi il le faisait. J’aimais cette manière d’enseigner parce qu’il fallait vraiment le vouloir pour pratiquer, chercher en soi, se poser des questions à soi-même, chercher comment le Shiatsu marche réellement, créer ses propres réponses et sa propre expérience. Et comme nous travaillons en plus déjà dans les hôpitaux dans le cadre de notre entraînement, il fallait prouver nos capacités dans un environnement très demandeur, et c’est là qu’on voyait si ce qu’on faisait marchait vraiment. Cette responsabilité personnelle dans le processus d’apprentissage créait un état d’esprit dans lequel on travaillait sur un sujet jusqu’à ce qu’on le comprenne à tous les niveaux. Il s’agissait d’être totalement impliqué.

En revanche mes études de MTC furent plus ou moins l’opposé de ce procédé. Apprendre d’abord, appliquer plus tard. C’était comme étudier à l’université. Des tonnes d’informations théoriques. Mais avec les années, les deux approches ont fusionné de plus en plus, et maintenant je suis vraiment content d’avoir suivi ces deux voies.

Par la suite, avez-vous suivi des maîtres qui vous ont inspirés ? Que vous ont-ils appris d’essentiel sur le Shiatsu ?

Oui, ça c’est la routine habituelle. Après avoir terminé mes études de bases, ma faim était immense et je voulais en savoir plus sur le monde du Shiatsu, alors j’ai essayé de voir le plus possible de maîtres de Shiatsu. Mais rapidement j’ai compris que ce n’était pas la meilleure voie pour améliorer mon Shiatsu. En fait, j’ai réalisé que j’étais un traditionaliste plutôt têtu. Pour le développement de mon propre Shiatsu, il était nettement plus efficace de m’engager avec un professeur, dans un style et une philosophie… C’est la même chose qu’avec les exercices énergétiques. Je pense que, si vous faites du Shiatsu, vous devriez vous en tenir à une forme d’exercices au quotidien, et cela n’a pas d’importance que ce soit du Yoga, du Taichi, du Qigong ou autre chose. Mais pour atteindre la profondeur de la pratique, il faut s’y engager entièrement. C’est mieux d’être un vrai bon pratiquant de Qigong – que je pratique depuis maintenant 30 ans – que de connaître un petit bout de ceci et un petit bout de cela. J’ai toujours voulu être un spécialiste. Je voulais faire les choses vraiment bien plutôt qu’à peu près bien, je cherche encore à aller aussi profondément que possible. Et je pense que si vous souhaitez faire de même, il faut décider d’une direction pour vous-même, un style, un maître, et de s’y tenir. C’est un peu comme… si vous avez plein de petites amies et passez de très bons moments, excitants même, car vous avez de la nouveauté à peu tous les jours. Mais vous voulez vraiment grandir et approfondir une relation, il faut se marier avec une femme et traverser le paradis et l’enfer avec elle jusqu’à ce que vous trouviez réellement le sens de l’amour. Alors, je me suis marié avec le Shiatsu, il y’a 25 ans, et maintenant je fais encore du Shiatsu. Et pas du Shiatsu et de l’ostéopathie, ou du cranio-sacré ou du massage. Juste du Shiatsu. Et la MTC permet d’approfondir cette technique. L’essence de ce que j’ai appris est : si vous ne pouvez pas prouver ce que vous faites avec des résultats concrets, hé bien c’est sympa, mais vous avez raté le trésor qui est caché dans le Shiatsu. Et ce sentir un plus centré et relâché à la fin d’un traitement ne suffit pas.

Vous dirigez depuis peu l’école Hara Shiatsu à Vienne. Pouvez-vous nous parler de cette école ? Quelle est votre ambition dans l’enseignement ?

L’école du Hara Shiatsu a été fondée par Tomas Nelissen et j’y suis impliqué depuis plus de 20 ans. Nous avons deux buts principaux. D’un côté, il faut travailler dur sur soi-même, sur sa personnalité. Si l’on travaille avec le Qi, il faut être capable d’éveiller, gérer et diriger ce Qi en soi avant tout. C’est un processus qui est à la fois physique, émotionnel et spirituel. D’un autre côté, nous voulons former des praticiens professionnels en Shiatsu. Pour cela nous avons choisi une structure qui est toujours d’actualité : vous commencez avec un groupe et vous finissez avec ce groupe. Nous voyons nos étudiants toutes les semaines, on essaye de rester dans un contact proche, nous sommes vraiment derrière eux. On leur demande beaucoup, mais on donne aussi beaucoup. Nous faisons beaucoup d’exercices physiques, nous avons notre propre cuisine, nous cuisinons ensemble, végétarien, sans sucre, nourriture complète… Hahaha, parfois on dirait un camp d’entraînement, comme une retraite, mais qui dure trois ans. Une partie de notre entraînement consiste en de la pratique clinique et nous travaillons avec nos étudiants dans les hôpitaux. Ils doivent voir au moins trois hôpitaux différents pendant leur cursus et nous sommes spécialisés en rééducation, troubles psychosomatiques chez l’enfant, gynécologie et burn-out. Avec cette expérience clinique, les étudiants sont tout à fait prêts à entrer sur le marché du travail.

Votre approche n’est pas axée uniquement sur le bien-être. Quel type de travail faites-vous dans les hôpitaux ?

Pour moi il y’a comme un malentendu si nous parlons de bien-être. Bien entendu, le but le plus grand est le bien-être à tous les niveaux, ce qui est considéré comme étant la santé, telle que l’Organisation mondiale de la santé l’avait déjà défini en 1946, c’est-à-dire que la santé est un état de bien-être complet aussi bien physique, mental que social et non seulement l’absence de maladie ou d’infirmité. Mais, pour atteindre ce niveau de santé, nous devons également être capables de résoudre nos problèmes. Il n’existe pas de bien-être quand il y’a des problèmes. Alors, si on parle de bien-être dans le Shiatsu, nous devons faire tout ce qui est possible pour y arriver. Et si nous pouvons faire beaucoup déjà ave nos mains, c’est parfait. C’est ce que nous faisons dans les hôpitaux. Que du Shiatsu.

Cette année, vous avez organisé (avec une belle équipe) le Congrès Européen de Shiatsu à Vienne. Pouvez-vous d’abord me raconter comment cette idée vous est venue ?

En fait j’étais déjà impliqué dans le 3° et le 4° congrès à Kiental, en Suisse. Au quatrième congrès j’ai eu une longue conversation avec Wilfried Rappenecker pour l’organisation du congrès suivant. Kiental avait hébergé l’événement quatre fois et ils étaient un peu fatigués de le faire. Et puis quelque part, le congrès n’attirait plus beaucoup de monde. Ma vision était de le déplacer dans une grande ville où l’on trouve un Shiatsu bien actif, car si Kiental est très joli c’est aussi perdu au milieu des montagnes suisses. Le congrès ressemblait avec une retraite. J’ai vu le potentiel d’un événement comme celui-ci. Si vous le faisiez grand, dans une grande ville, vous pouviez faire du bruit autour du Shiatsu et amener plus de monde à être au contact du Shiatsu. Pour moi il est temps que le Shiatsu soit poussé en avant, nous avons besoin de nous lever et de montrer ce que nous faisons, ce que nous pouvons accomplir, et ce que nous voulons faire. Avec la taille du congrès, nous avons pu toucher les médias et de nombreuses personnes qui ne connaissaient pas le Shiatsu. On peut donc dire que cela a bien fonctionné.

Lors de la préparation de l’événement, qu’est-ce qui fut le plus difficile à mettre en place ?

Heu, le plus difficile fut de gérer le nombre de personnes. Au départ nous avions planifié tout cela pour un maximum de 300 personnes. À la fin nous avons eu 520 participants, plus 130 volontaires, interprètes, conférenciers et staff pour l’organisation. Au total 26 nations étaient représentées. Du coup, trois mois avant le congrès nous avons dû trouver plus de salles, plus grandes, plus de volontaires, etc. Ce fut un moment difficile qui nous a donné du fil à retordre. Imagine juste ce que cela représente en termes de logistique : 520 participants, 102 cours, soit 10.000 cours individuels, ce qui veut dire 10.000 confirmations de cours pour savoir qui allait où. D’un autre côté, nous ne savions pas comment les gens allaient réagir au fait d’être dans de grands groupes. C’était un choix voulu, car nous souhaitions montrer que nous sommes nombreux, une masse, et donc pas seuls à faire notre Shiatsu dans notre coin, que nous sommes ensemble. Nous voulions vraiment donner la sensation d’être unis avec beaucoup, beaucoup d’autres pratiquants de Shiatsu. Certains cours avaient plus de 120 personnes à la fois. C’était aussi un challenge pour les conférenciers et les professeurs qui animaient. Mais cela a marché ! Les gens du Shiatsu sont vraiment super !

Pour une première fois, on peut dire que c’est un grand succès. Racontez-nous un peu ça.

Nous avons eu le bon moment pour faire cet événement et nous nous sommes donnés à fond pour cela. Nous savions que pour gérer une telle foule, il fallait que l’organisation soit aussi bonne que possible. Autant y aller à 110%. C’est que nous avons fait, mais les gens étaient aussi tous dans le Shiatsu, alors nous avons ajouté l’esprit du Shiatsu dans tout ça.

Maintenant que l’événement est passé, quelle expérience avez-vous tirez de ce congrès ?

Très positive ! Je pense que le Shiatsu a besoin de plus d’événements comme ça. Nous devons construire un réseau, atteindre une masse critique de personnes qui s’engagent pour aller de l’avant. Le Shiatsu mérite un meilleur rôle dans la société et dans le système de santé. On peut faire tant ! Je trouve que c’est notre boulot de se bouger pour cela. Ce que nous voyons actuellement à Vienne c’est que la couverture médiatique se poursuit et il y’a beaucoup de gens qui nous contactent pour en savoir plus et les prochains cours sont déjà tous pleins. L’aspect unifiant du congrès a aussi eu un gros impact sur la scène du Shiatsu. La fédération autrichienne, les praticiens, tout le monde est motivé, inspiré et veut travailler ensemble. C’est juste génial.

Le thème du congrès était « le Shiatsu comme thérapie ». J’ai deux questions en une à ce propos. Pensez-vous que le Shiatsu européen est assez mûr pour être considéré aujourd’hui comme une thérapie à part entière ? Et, à votre avis, comment les praticiens européens réagissent à cet appel pour le « thérapeutique » ?

Bonne question… Bon d’abord, tout autour du globe les maladies dites de civilisation explosent littéralement. C’est un fait. Et c’est un fait également que les coûts pour nos systèmes de santé explosent également. Nous avons donc besoin d’une nouvelle approche de nos problèmes de santé. À mon avis, le Shiatsu a le potentiel pour jouer un rôle de premier ordre au sein du système de santé et de la société. Pourquoi ? Qu’est que les futures thérapies doivent apporter pour faire face aux défis de nos vies modernes, une vie constamment sur la voie rapide, une vie numérique, une vie d’insécurité croissante et sous pression ? Cette thérapie du futur doit arrêter la séparation entre le corps, le mental et l’esprit. Elle doit se concentrer sur l’historique individuel du client et son environnement, doit pouvoir offrir de la prévention et des soins. Les futurs thérapeutes devront voir et penser les choses de manière holistique, et agir de manière spécifique et précise. Le Shiatsu répond à tous ces critères. C’est pourquoi le Shiatsu peut devenir l’une des thérapies du futur les plus intéressantes qui soit, j’en suis fermement convaincu. Et je pense que dans la plupart des pays européens le Shiatsu est assez mûr pour cela. En Suisse il existe la profession de « thérapeute complémentaire » et le Shiatsu en fait partie. Vous pouvez être un thérapeute complémentaire et faire partie du système de santé publique. Le curriculum de base en Shiatsu de ce pays n’est pas si différent des autres pays européens, vous avez juste besoin de plus d’heures de formation concernant les soins en général et de connaissances médicales, mais je pense que ce serait bien de l’intégrer dans la plupart des pays, même si tous les gens qui font du Shiatsu ne seront pas ravis d’avoir à le faire. Mais ne serait-ce pas formidable d’avoir cette possibilité ? Vous pourriez devenir thérapeute Shiatsu si vous le souhaitiez. Ou alors, vous pourriez faire du Shiatsu de détente si vous ne le souhaitez pas. Pourquoi pas ? Je suis très partisan du Shiatsu comme thérapie, mais pendant le congrès nous voulions voir la réaction des gens et… disons que c’est du 50/50.

Est-ce que ce congrès va rester dans les pays germanophones ou bien a-t-il vocation à voyager dans les différentes capitales européennes ? Quand aura lieu la prochaine date ?

Le Congrès Européen de Shiatsu est un événement européen. Alors, ça doit changer d’endroit. C’était déjà ma vision à la base. Ce serait d’ailleurs bien que cela se fasse dans un pays non germanophone pour une fois. Nous avons fait un petit sondage et les participants aiment l’idée que ça soit dans une grande ville. Du coup, on va s’en tenir à cette idée. Actuellement nous avons en tête la date de 2020, mais si des partenaires sont intéressés, cela pourrait être dès 2019. Ce serait vraiment bien si l’on pouvait établir un congrès européen tous les deux ans, et entre-temps chacun irait dans les conférences et congrès nationaux. Il faut se souvenir que le congrès n’est pas politique, c’est important, afin d’avoir une plateforme non politisée. Notre idée est donc de garder cette plateforme bien vivante, pendant et après les congrès. On verra bien. Nous avons des idées, mais nous sommes ouverts à toutes les bonnes surprises.

Merci beaucoup pour ce témoignage précieux. Au plaisir de vous revoir.

C’était un plaisir, vraiment.


Pour contacter Mike Mandl : https://www.hara-shiatsu.com/


Notes :

[i] Tomas Nelissen (Hollande) : il est l’un des pionniers du Shiatsu en Europe. Il étudia le Shiatsu directement au Japon avec Masunaga et travailla avec lui. Après son retour en Europe, Tomas a fondé l’Académie Iokaï Shiatsu des Pays-Bas, puis, l’Académie International pour le Hara Shiatsu à Vienne. Tomas est l’une des premières personnes à introduire le Shiatsu dans les hôpitaux, ce qui fut un grand succès et lui apporta une reconnaissance internationale.

Ivan Bel

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