Alors que le monde du Shiatsu se passionne pour la thérapie, les études scientifiques et le retour aux textes de la médecine orientale, il est un point important qu’il ne faut jamais oublier : les recettes de traitement tout fait n’existent pas. Alors, pourquoi enseigner et pratiquer du Shiatsu Thérapeutique ?
Yuichi Kawada est un maître bien connu dans le Shiatsu. Très souvent celui-ci répétait pendant ses cours : « Il n’y a pas de recettes en Shiatsu », sans plus d’explications. Que voulait-il bien dire ?
Avec le recul des années de pratique et surtout avec l’étude de la médecine orientale, cette phrase apparaît dans toute sa lumière. Il s’agissait d’une mise en garde pour tous ceux qui sont tentés de croire qu’il suffit de suivre des protocoles de traitement écrit dans les livres pour obtenir des résultats. La pratique clinique en Shiatsu montre que cela ne marche pas. L’être humain n’est pas parcouru par des points et des méridiens sur lesquels il suffirait d’appuyer pour obtenir des effets. Cette approche est vouée à l’échec, car l’Homme n’est pas un ordinateur avec des boutons. Remarquez ce serait bien pratique, mais cela voudrait dire que l’on pourrait littéralement programmer une personne et la mettre dans un état ou un autre. Penser ainsi c’est oublier un peu vite tout ce qui fait la spécificité de l’être humain.
Chaque être humain (mais aussi chaque animal, chaque insecte, chaque plante) est un individu. Cela signifie qu’il peut appartenir à un groupe, un genre ou une espèce, mais qu’il aura autant de points communs que de points dissemblables avec ses congénères. C’est ce qui fait toute son individualité. Chaque humain se reconnaîtra à ses deux bras, deux jambes, son tronc, et même à ses méridiens qui sont toujours – peu ou prou – à la même place. Mais ses bras seront plus longs, plus forts, plus maigres, plus courts, plus poilus que ceux des autres. De même le fonctionnement de ses méridiens, la quantité d’énergie qui y circule, la vitalité du corps, la force de son esprit, la manière de gérer son Ki ou de le dépenser, tout cela fera de lui un individu unique. Du coup, appuyer sur un point ou deux dans l’espoir d’obtenir le même effet pour toutes les personnes amène implacablement le praticien dans une impasse technique. Si cela vous arrive, c’est bien. Vous serez obligé de trouver la solution pour sortir de l’impasse.
Différences entre acupuncture et Shiatsu
Il existe de nombreuses différences entre l’acupuncture et le Shiatsu dont la plus évidente et l’utilisation d’un objet (l’aiguille) là où le Shiatsushi n’a que ses doigts. Pour l’acupuncteur il est possible de planter une aiguille et d’attendre aussi longtemps que nécessaire que le point réagisse (j’exagère ici volontairement pour souligner mon propos, un bon acupuncteur n’attend pas des heures que les aiguilles fassent leur effet). Le Shiatsushi peut certes rester parfois sur un ou deux points et établir une connexion avec eux, mais pas pendant 30 minutes. De plus, il n’a que deux mains tandis que l’acupuncteur peut planter plusieurs aiguilles à la fois. Ces différences ont l’air bête à dire, mais elles sont essentielles pour comprendre que ces deux arts ne fonctionnent pas de la même manière.
Le problème est que la quasi-totalité des traitements thérapeutiques provient de l’acupuncture et de son immense littérature aujourd’hui largement disponible dans toutes les bonnes librairies spécialisées. Mais jamais le Shiatsushi ne pourra agir comme l’acupuncteur.
Alors, faut-il arrêter d’étudier la médecine chinoise ou la médecine kampo ? Bien au contraire ! La médecine orientale au sens large insiste lourdement sur le fait qu’il n’existe pas de traitement pour une maladie précise, mais plusieurs tableaux pathologiques pour une même série de symptômes. De plus, ces symptômes n’ont rien à voir avec la médecine occidentale, car ils représentent des signaux, des informations concernant l’énergie qui circule plus ou moins bien. On constatera le chaud, le froid, le plein, le vide, la stagnation du Ki, son débit, son rythme, sa fréquence (ou onde). La médecine orientale dira alors qu’il faut purifier la chaleur, chasser le froid, rétablir l’harmonie entre kyo et jitsu, libérer la surface, rétablir les cycles, etc. Tous ces aspects sont bien évidemment différents selon l’individu, son sexe, son âge, son alimentation, sa psychologie, ses exercices, ses accidents et traumas, le climat qu’il fait, la latitude sur le globe, la saison, l’heure de la journée et bien d’autres choses encore. Devant l’immensité des combinaisons possibles entre tous ces facteurs, il ne saurait y avoir un traitement type pour tous les enrhumés du monde.
Du coup, faut-il encore apprendre les points de pression selon la médecine orientale ? Oui, trois fois oui ! Les points ou tsubos ne fonctionnent pas comme les boutons d’une calculette. Pour commencer, chacun d’entre eux possèdent potentiellement plusieurs fonctions. Si l’on prend un point comme GI4 ou mieux encore E36, vous obtiendrez des pages et des pages pour décrire toutes leurs fonctions. Si cela est un peu désespérant au début, en revanche l’apprentissage des familles de points permettent de les combiner entre eux et d’augmenter l’effet désiré. Tous les étudiants de Shiatsu connaissent par exemple les points Source, famille très intéressante à plus d’un titre, notamment pour ressourcer directement un méridien ou son méridien associé via la méthode hôte-invité avec les points de communication Luo. Mais il existe de nombreuses familles de points et l’on peut tous en créer des plus personnelles : par exemple tous les points qui aident à calmer les contractions de l’utérus d’une femme enceinte. Ce n’est pas une famille de points appartenant à la nomenclature officielle, mais elle est bien utile à connaître. Toutefois, rappelez-vous, une femme n’en est pas une autre.
Comment établir un traitement en Shiatsu ?
Pour répondre à cette question, il faut se rappeler de ce que savent faire les points. Chaque point peut être stimulé de plusieurs manières : en tonification, en dispersion et en harmonisation pour ne citer que les exemples les plus connus. Chaque point appartient également à un méridien. Chaque méridien est relié aux organes et entrailles, ainsi qu’aux autres méridiens. Chaque méridien appartient à l’énergie Yin ou à l’énergie Yang. Chaque point de méridien peut avoir une nature plus Yang ou plus Yin, selon sa « personnalité ». Savoir tout cela (ce qui prend quelques dizaines d’années) permet déjà d’avoir une action concrète sur le corps. De plus, on sait que la fonction originelle des points n’est pas (surtout pas) de soigner quoi que ce soit. En revanche les points peuvent avoir des actions de types « faire monter le Ki », « contrer le Ki à contresens », « rafraichir le Sang », « disperser les Glaires », « stimuler le Shen », etc. Ce sont ces effets que l’on pourra mobiliser dans le cadre du Shiatsu.
En d’autres termes, cela revient à dire que le Shiatsushi pourra faire circuler l’énergie du corps, mais pas n’importe comment. En revanche, il ne pourra pas espérer aider une personne s’il n’adapte pas son traitement à cette personne-là, à un moment précis de la vie de cette personne. C’est la raison pour laquelle il n’existe pas deux traitements similaires, même pour les praticiens de Shiatsu qui utilise toujours le même kata de base. C’est aussi la raison pour laquelle il faut impérativement étudier la médecine orientale et son bilan énergétique complet pour pouvoir s’adapter à chaque individu, à chaque séance. Avec ces connaissances, le praticien de Shiatsu peut faire ce qu’il fait le mieux : faire bouger le Ki, suivre les méridiens, débloquer les stases, réchauffer, tonifier, disperser, rétablir l’homéostasie du corps.
Mais alors que faire des traitements que l’on trouve dans les livres d’acupuncture ? Tout d’abord les traitements d’acupuncture ne doivent jamais être pris au pied de la lettre, surtout pas en Shiatsu. Ils servent de base de réflexion pour le Shiatsushi avancé, mais ne sont en aucun cas des recettes prête à l’emploi. Ce n’est pas possible pour deux raisons :
- Parce que la plupart des traitements d’acupuncture n’ont que quelques points à proposer, ce qui ne tiendrait jamais dans une heure de Shiatsu.
- Parce qu’appuyer uniquement sur ces quelques points nous feraient quitter aussitôt le monde du Shiatsu dont l’un des principes est de toucher la globalité du corps pour faire bouger le Ki et espérer toucher la particularité d’un blocage, quel qu’il soit.
Etablir un traitement Shiatsu revient donc à :
- Connaître les principes et le fonctionnement de la Médecine Orientale de manière approfondie ;
- Connaître l’art et la manière d’établir un bilan énergétique complet (pouls, langue, palpation, œil) et d’en tirer des conclusions (l’énergie est bloquée, trop forte ou trop faible) ;
- Utiliser les résultats du bilan énergétique pour adapter un traitement connu de la littérature à la personne présente, quitte à ne pas suivre les livres et à se fier à ses mains ;
- Ne pas oublier les principes du Shiatsu et au risque de sortir de la technique ;
- Faire circuler le Ki correctement partout en levant les déséquilibres, car retrouver l’homéostasie énergétique c’est permettre à la personne de se reconstruire.
C’est pourquoi en Shiatsu il n’existe pas de recettes toutes faites et applicables dans toutes les situations. Il n’existe que des cas particuliers que l’on peut traiter en sachant comment faire bouger le Ki d’une manière ou d’une autre dans chacun des méridiens et dans chacun des points. Mais cet art du Shiatsu ne peut pas, ne peut jamais, s’effectuer sans la connaissance approfondie de la médecine orientale en se disant qu’il suffit de poser les doigts ici où là et que ça marchera bien un jour où l’autre.
Comme me le disait il y a quelques années le maître Bernard Bouheret :
« il faut avoir appris pour pouvoir oublier. Donc il faut apprendre la Médecine chinoise pour pouvoir ensuite l’oublier et revenir au pur Shiatsu ».
Bonne pratique !
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