Ivan Bel : Cher Diego, c’est un grand plaisir de faire cette interview avec vous. Vous êtes enseignant de Shiatsu, mais bien loin de l’Europe, aussi peut-être que les lecteurs sont nombreux à ne pas vous connaître. Pourriez-vous vous présenter ?
Diego Sanchez : Je suis originaire d’Uruguay, mais j’ai vécu dans de nombreux pays européens et aux USA. Je suis revenu chez moi il y a quelques années maintenant, où j’ai deux filles et la chance de pouvoir vivre et travailler à proximité de la Nature. Je voyage deux fois par an en Europe pour y enseigner et je reçois de nombreux étudiants étrangers pour des retraites et des voyages spirituels en Uruguay ou dans d’autres pays d’Amérique du Sud qui ont un intérêt énergétique particulier.
Quand avez-vous croisé le Shiatsu et dans quelles circonstances ? Quel a été votre première réaction ?
Je travaillais dans le monde de la publicité et dans l’un de mes boulots, il y avait une personne de l’équipe qui étudiait le Shiatsu et avait besoin de pratiquer pour s’entraîner. Je l’ai laissé travailler sur mon dos pendant un petit moment et la sensation que j’ai eu était tellement forte que cela m’a vraiment secoué jusqu’au tréfonds de mon corps. J’avais 25 ans et je ne m’étais jamais senti si bien auparavant. C’était d’ailleurs choquant d’avoir passé autant d’années de ma vie sans jamais me sentir si bien dans mon corps. J’ai immédiatement acheté un livre et essayé les points de Shiatsu et quelques techniques sur mes amis et mes proches, avec un certain succès. Cela m’a rendu encore plus curieux et désireux d’apprendre.
Lorsque j’ai eu 29 ans, j’ai traversé une crise existentielle et quand j’en suis sorti, il était devenu clair que le Shiatsu serait ma Voie.
Où avez-vous étudié le Shiatsu et avec quel(s enseignant(s) ?
Je vivais en France quand j’ai découvert le Shiatsu, mais j’ai déménagé en Angleterre pour m’entraîner au Shiatsu College de Londres. J’ai eu beaucoup de chance de pouvoir m’entrainer là-bas avec des professeurs et des étudiants vraiment formidables.
L’un de mes enseignants avait mentionné qu’il avait appris des choses vraiment intéressantes avec Pauline Sasaki. Aussi, une fois mes études terminées, je suis allé à New-York pour rencontrer Pauline. Elle m’a donné une séance de Shiatsu puis m’a invité pour le diner avec son mari. Jusqu’à là, bien que je pensais que le Shiatsu était ma Voie, il me faudrait trouver un autre boulot pour payer les factures et faire du Shiatsu sur le côté. Mais durant cette conversation ils m’ont fait réaliser que je pourrais survivre en étant praticien de Shiatsu.
Pauline a été une force inspirante dans ma vie et je me suis entraîné avec elle pendant les huit années qui suivirent. J’ai d’ailleurs fait un film qui s’appelle « The Human Potential » (voir ici la bande annonce).
Je sais que vous vous êtes également intéressé au Shamanisme. Dans quel but ? Que cherchiez-vous à travers cette technique ?
A un moment donné un collègue nous a parlé, à Pauline et moi, d’un chaman russe. Alors nous sommes allés le voir.
Nous avons fini par travailler avec lui pendant des années, avec tout un groupe de collègues de Shiatsu. Pauline fut l’instrument qui permit de traduire les aspects spirituels du Shamanisme dans la théorie du Quantum Shiatsu (en frnaçais, ce style a été traduit par Shiatsu Quantique) qu’elle était en train de développer. Je crois que son intégration des théories des méridiens et des chakras est brillante. Et c’est ce que j’utilise et continue de développer dans mon travail aujourd’hui.
Comment arrivez-vous à marier le Shiatsu avec le shamanisme ? Qu’est-ce que ces deux techniques peuvent bien s’apporter l’une l’autre ?
Ce que nous avons appris de bénéfique dans le shamanisme est l’expansion de la carte énergétique d’une personne, ce qui va bien au-delà des méridiens, du Yin/Yang ou des 5 éléments. L’inclusion des chakras et d’autres aspects subtils permet de faire un diagnostic ou un traitement bien plus rapidement, profondément et efficacement.
A un certain moment de votre vie, vous êtes allé offrir vos services dans un hôpital de New-York. Comment cela s’est-il passé ?
Travailler dans un hôpital fut un autre événement qui m’a transformé, lorsque je vivais à New-York. J’avais très envie de rentrer dans le monde médical pour constater les bénéfices du Shiatsu sur plusieurs troubles comme l’insomnie, la douleur ou l’anxiété. Je faisais alors des recherches pour prouver les effets du Shiatsu et je l’ai proposé à deux équipes universitaires : la Clinique du Sommeil à NYU (New-York University) et au Programme de Médecine Intégrative de l’université de Columbia et Cornell. Aucune de ces recherches n’ont abouties finalement, mais par contre des deux côtés j’ai fini par travailler directement avec les patients, ce qui était mon but.
Après vous être occupé du personnel soignant, vous avez intégré un département de chirurgie cardiaque. On ne s’attend pas à voir du Shiatsu dans un tel contexte. Comment c’est arrivé ? Qu’y faisiez-vous ?
Je dois dire – pour être honnête – que ce n’est pas le Shiatsu qui m’a ouvert les portes des patients à l’hôpital (d’ailleurs personne ne savait ce qu’était le Shiatsu), mais par mon attitude et la confiance que j’ai réussi à développer avec les personnes avec qui j’étais en contact. J’ai pu voir qu’il n’avait pas besoin de croire dans le Shiatsu à travers des études (qui n’ont jamais eu lieu), mais ils avaient besoin de croire en moi en tant qu’individu responsable, avant de me permettre de toucher des patients avec le Shiatsu, ou quelle que soit la technique que je voulais. J’ai d’abord démontré que le Shiatsu était sûr, facile et efficace, en travaillant sur le personnel administratif et médical. Le temps qu’une décision soit prise pour m’autoriser à accéder aux patients, j’avais déjà toute une équipe qui ne voulait que ça et j’ai pu entrer dans une unité de soins intensifs. Je travaillais sur des personnes qui avaient été opérées juste quelques heures auparavant.
J’ai commencé à voir les patients d’un seul chirurgien cardiaque en tant que bénévole et j’ai fini par être embauché pour voir tous les patients de ce département.
Techniquement, quel protocole ou technique ou méridien utilisez-vous pour des personnes qui ont été opérées ?
Lorsque je travaille avec des patients atteints de maladies critiques, même dans des situations de vie ou de mort, je ne présume jamais de rien à l’avance. Par exemple leur Ki n’est pas comme ceci ou comme cela parce qu’ils sont extrêmement malades ou sur le point de mourir. J’ai travaillé avec des mourants qui expriment un Ki vraiment fort, donc je me réfère toujours à l’information qui découle du diagnostic du Hara et c’est mon seul objectif pour toute la session.
Il n’y a pas d’autre protocole que de me laisser guider par ce qui me vient lors de l’évaluation du Hara. Je fais confiance à l’information intuitive qui m’arrive si élégamment organisée pour nous et je peux alors travailler sans hésitation. Elle m’emmène toujours directement à ce dont on a besoin, sans perte de temps ou de préparations inutiles.
J’utilise toujours les mêmes principes de toucher issus du Zen Shiatsu : pression perpendiculaire, être relâché, pénétration profonde et appropriée avec le bon rythme et la continuité que la situation requiert. Je n’anticipe jamais sur ce que je devrais faire ou pas dans une situation donnée. Je décide toujours sur place, en suivant les mêmes directives que pour travailler avec une personne en bonne santé.
Quelles conclusions tirez-vous de cette expérience de Shiatsu dans un environnement peu facile ?
Quand vous travaillez en milieu hospitalier vous remarquez, par exemple, que les rotations des lombaires ne sont pas toujours réalisables dans un lit d’hôpital, ou que vous ne pouvez pas mettre le client dans la position que vous voulez. Pour ne nommer que cela, mettre un client en position allongée sur le ventre est presque toujours impossible dans un hôpital. Vous voyez que cela demande beaucoup de temps et que c’est risqué de bouger une personne très malade, alors vous travaillez dans la position où vous les trouvez et c’est tout. La plupart du temps il est aussi impossible de palper le Hara. Aussi faut-il développer d’autres manières de faire, comme palper les zones de diagnostic des méridiens dans le dos, quand ils sont sur le côté, ou faire le diagnostic du Hara au-dessus du corps, sans toucher, ce que je fais maintenant presque toujours avec les clients en bonne santé. Une communication claire, garder les yeux grands ouverts et avoir tout le corps dans votre champ de vision, avoir un toucher nourrissant et bien ancré, voilà qui permet d’avoir un fort impact en un temps relativement réduit. J’ai l’habitude de faire des sessions de 15/20 minutes qui génère de profonds changements.
Maintenant vous enseignez le Shiatsu un peu partout à travers le monde. Quelles orientations donnez-vous à votre Shiatsu ? Sur quoi insistez-vous en particulier ?
Être 100% présent dans ce que l’on fait est de la plus haute importance. Parfois ce n’est pas ce que vous faites qui est important, mais le simple fait d’être pleinement avec la personne. Toucher chaque tsubo comme si c’était le seul que vous allez utiliser. Vous n’en avez pas besoin de beaucoup d’ailleurs. Se souvenir que le corps est holographique ; dans un seul point vous avez tout le corps-esprit. Les méridiens sont un rappel de comment, en un seul point, vous avez un effet sur tout l’ensemble en même temps.
Quand on se trouve dans un environnement non familier pour faire un shiatsu, que ce soit à l’hôpital, en situation de crise ou même quand vous êtes dans votre propre cabinet mais en situation d’urgence avec un client, la première chose que l’on tend à perdre c’est l’ancrage. Je travaille avec des techniques shamaniques très simples pour être constamment ancré et pas seulement dans les situations d’urgence. Je crois que nos modes de vie nous poussent toujours plus à être hors de nos corps, constamment dans la distraction de notre attention sur ce qui nous arrive réellement dans le moment présent. Ma pratique spirituelle consiste à être ici, tout simplement.
Quand j’enseigne le Shiatsu, j’insiste essentiellement sur « le réglage de l’instrument » qu’est le praticien. La chose la plus importante est qui vous êtes et comment vous faites les choses, plus que ce que vous faites. Le plus vous découvrez qui vous êtes, le meilleur vous devenez dans tous les domaines y compris le Shiatsu.
Diego, je vous remercie vraiment pour ce moment ensemble et pour l’incroyable énergie que vous mettez dans tout ce que vous faites. J’espère vous revoir bientôt.
Tout le plaisir était pour moi.
- 25-26 janvier 25 : stage fertilité et fécondité en Shiatsu à Toulouse avec Ivan Bel - 06/08/2024
- 25-27 avril 2025 : stage traitement des grandes articulations avec Ivan Bel à Montpellier - 05/08/2024
- Stage intensif d’été de Lembrun – 6 au 12 juillet 2025 : les troubles du système digestif, anatomie avancée des organes et nutrition - 04/08/2024
- Critique de livre : Shiatsu intégratif - 07/05/2024
- Les points pour dissoudre les Glaires - 05/03/2024
- Histoire de la médecine japonaise – 4 : période Edo et développement de la médecine européenne - 12/02/2024