Ivan Bel : Bonjour M. Palmer. Ma première question sera où et quand avez-vous découvert le shiatsu ?
Bill Palmer : C’était en 1973, lorsque j’étais à l’université. Je commençais à pratiquer l’aïkido. Mon professeur était également un excellent praticien de shiatsu. Son nom était Minoru Kanetsuka, et j’aimais beaucoup ce qu’il faisait. Aussi, j’ai débuté l’étude avec lui. Pendant 6 années, j’ai regardé ce qu’il faisait et par la suite, les gens du dojo me demandaient des traitements. Donc, mes débuts sont très liés à l’aïkido et à l’esprit qui règne dans un dojo. C’était une forme très simple de shiatsu, sans aucune théorie sur les méridiens.
Était-ce comme les bases de l’école de shiatsu Namikoshi ?
Non, en réalité c’était même encore plus simple que cela. La pratique était basée sur des points clés et sur la qualité du toucher. Kanetsuka avait l’habitude de dire : « le shiatsu c’est comme l’aïkido. N’essayez pas de contrôler quoi que ce soit. Améliorez simplement votre qualité de toucher et répondez à ce que vous ressentez » ou encore « Si vous vous ouvrez à l’énergie de quelqu’un, alors cela le transforme, mais si vous essayez de le changer, alors il résiste ». Donc, ce que j’ai appris c’est d’avoir confiance en mon ressenti et non de penser à ce que je devrais faire, de travailler aussi sur moi-même afin de m’ouvrir davantage aux gens.
Après ces années d’introduction, avez-vous poursuivi votre chemin dans le shiatsu ?
Oui, certainement ! En 1978 j’ai commencé l’enseignement du shiatsu avec Akinobu Kishi. À cette époque il enseignait le Zen Shiatsu à Paris, avant qu’il ne développe le Seiki. Là, j’ai étudié les ouvrages de Masunaga, ce qui m’a permis d’en savoir plus sur la théorie et les méridiens, mais je n’ai jamais été vraiment d’accord avec l’idée de diagnostic. Le diagnostic a quelque chose de médical où un expert juge ce qui est mauvais et décide quoi faire pour que ça devienne bon. Le client peut se sentir bien grâce au traitement, mais il ne comprend pas ce qu’il se passe, aussi je ne suis pas sûr s’il peut réellement y avoir de transformation de ses schémas profonds. Pour ma part, j’aime travailler en développant l’attention du client par le biais du toucher, en m’ouvrant à lui et l’aidant à s’explorer lui-même.
Êtes-vous allé à Paris pour étudier avec Kishi ?
J’ai étudié brièvement à Paris, puis je suis revenu en Angleterre. Là, j’ai suivi plusieurs stages où Kishi et d’autres professeurs qui étaient invités à Londres.
C’est donc après cette période que vous avez commencé à travailler en tant que professionnel ?
Non, pas encore. À cette époque il n’y avait pas vraiment de professionnels de shiatsu. C’était très nouveau tout ça ! Nous étions peut-être moins de dix praticiens dans tout Londres. Alors, la plupart d’entre nous nous rencontrions chaque semaine et nous nous enseignions mutuellement ce que nous connaissions. Dans ce groupe il n’y avait que des personnes qui avaient étudié directement auprès des professeurs japonais. Michael Rose avait étudié auprès de Masunaga, Carola Beresford-Cooke auprès d’Ohashi et Harriet Devlin avec Kishi. De leur côté, Merle Gering avait étudié l’acupression et Neil Gulliver le Shiatsu Macrobiotique. Donc nous étions un groupe à spectre large, si l’on peut dire, dont l’objet était le partage de nos connaissances. Au bout de quelque temps, Michael, Harriet et moi avons formé des groupes d’études pour les personnes intéressées, mais nous n’avions aucun projet concernant la création d’une profession.
Était-ce les débuts de la U.K. Shiatsu Society ?
Oui, tout à fait. En décembre 1980, nous fêtions Noël à la October Gallery de Londres, et tous les étudiants de nos classes et ceux du Centre Est-Ouest étaient invités. Là, les étudiants nous ont dit « nous voulons que vous, les enseignants, vous formiez un Club de Shiatsu, que l’on puisse se rencontrer et échanger ». Ce n’était pas une question de professionnalisme, nous ne pensions pas à ça, mais juste de pratiquer et travailler ensemble. Aussi, l’année suivante nous avons créé la UK Shiatsu Society (trad : Société de Shiatsu du Royaume-Uni), qui s’est rapidement transformée en une association professionnelle. Les écoles commencées à proposer des formations étendues et le club est devenu une organisation chargée de maintenir la qualité des cours et de soutenir la formation.
Quand avez-vous commencé, à travailler avec le shiatsu ?
Eh bien, dans les années 70 je faisais de la recherche en physique théorique à l’université. Un jour j’ai regardé les gens autour de moi et je me suis dit « je ne veux pas finir comme eux » (rires). Je devenais de plus en plus autiste, toujours enfermé dans ma tête, et j’ai réalisé que j’avais besoin d’être davantage avec les gens qu’avec les idées. Du coup, j’ai quitté la vie académique et j’ai travaillé dans une école de théâtre à Londres qui s’appelait Central School of Speech and Drama (trad : école centrale d’élocution et de théâtre). Ce fut dans cette école de théâtre que j’ai vraiment commencé à travailler avec le shiatsu, même si ce n’était pas le travail pour lequel j’étais payé. Les étudiants se blessaient assez souvent en classe et me demandaient de les aider. Du coup, j’avais au moins une dizaine de personnes par jour pour le shiatsu, en petites sessions de 20 minutes. Par la suite, ils m’ont demandé d’enseigner le shiatsu dans cette école.
J’étais là depuis 5 ans et j’ai développé un nouveau style de Shiatsu, « Movement Shiatsu ». Puis, après quelques moins de voyage au Japon, j’ai ouvert ma propre école. C’était il y a 30 ans de cela ! « Movement Shiatsu » développé à partir des principes que j’ai appris de l’Aïkido, mais surtout d’une longue période de travail avec les enfants handicapés. En travaillant avec ces enfants, j’ai remarqué qu’ils étaient comme « dépossédés de leur esprit » par les thérapies qu’ils recevaient. Les enfants handicapés étaient principalement traités par la kinésithérapie qui voulait remettre leur corps aussi « normal » que possible. Mais le seul résultat obtenu par ce biais était que les enfants ressentaient que fondamentalement quelque chose n’allait pas avec eux, en tant que personne. De mon côté je me disais que tout le monde, et pas seulement les enfants, a besoin de sentir bien et entier. Seulement ensuite, ils peuvent explorer les zones où ils ont des problèmes sans perdre leurs repères.
J’ai commencé à travailler avec ces enfants d’abord tout ce qu’ils pouvaient faire facilement, plutôt que de me concentrer sur leurs problèmes. Ce fut un vrai succès ! Les séances leur apportaient (et à moi aussi) beaucoup de joie et de soins. Et à partir de cette joie et de ces soins, ils trouvèrent le courage de travailler sur des zones de leur corps plus difficiles d’accès. Puis j’ai pensé faire la même chose avec les adultes. Les gens se focalisent généralement sur ce qui ne va pas chez eux, au lieu de ce qui est bon en eux. C’est pourquoi les bases du « Movement Shiatsu » consistent à explorer la capacité du client, plutôt que son incapacité. Cela aide le client à s’explorer lui-même tel qu’il est et à chérir cela. Et seulement après cette étape, nous explorons comment développer les zones qui posent problème.
C’est un changement complet de point de vue, car vous voyez les choses à l’inverse de ce qui est généralement enseigné. Cela signifie-t-il que vous travaillez en shiatsu uniquement avec des mobilisations ou vous utilisez-vous également les méridiens ?
C’est une question tout à fait pertinente. Pour y répondre, il faut que j’explique d’abord comment je vois les méridiens, vision que j’ai apprise grâce au travail sur des bébés. Les bébés apprennent à bouger en intégrant des mouvements réflexes. Et la manière dont ces réflexes forment finalement les mouvements de tout le corps suit le chemin des méridiens classiques, et ce, d’une manière très précise. C’est comme si les méridiens forment une carte innée qui montre au cerveau comment réunir et utiliser le corps à l’aide des mouvements. Cette connexion entre les mouvements et les méridiens est bien plus précise que la métaphore sur l’amibe de Masunaga. Il est possible de retracer les chaînes musculaires qui créent des mouvements comme ramper ou rouler. Or, ces chaînes musculaires suivent exactement les méridiens. Ce fut une découverte excitante, mais il y avait un aspect plus profond encore.
Dans les années 80, il y’eut beaucoup de recherches sur le développement de l’enfant qui montrent que les bébés développent leur personnalité à travers la façon dont ils apprennent à se mouvoir. Par exemple, la manière de ramper reflète leur excitation dans l’action : s’ils sont attirés par un objet lointain, ils commencent à ramper pour atteindre l’objet de leur désir et obtenir satisfaction. Mais dans l’acte de ramper, les muscles qui alignent le corps pour lui permettre d’avance tout droit suivent exactement le méridien de la Vessie et de l’Intestin grêle. Ensemble, ils forment le méridien Taiyang. Maintenant, réfléchissez à ce que l’enfant est en train d’apprendre à l’aide de ce mouvement ; il apprend qu’il peut agir sur ses désirs, obtenir satisfaction par lui-même grâce au mouvement et diriger sa volonté pour atteindre ce qu’il veut. C’est tout à fait ce dont il s’agit quand on parle du Qi du Taiyang – aligner l’action et l’intention et choisir ce que l’on veut vraiment. En d’autres mots, cela aide à développer une volonté claire et précise.
J’étais très excité par ces observations, découvrir que les bébés apprennent les mouvements à travers les méridiens et que les talents énergétiques qu’un bébé découvre à travers ces mouvements correspondent aux mouvements du Qi des méridiens. C’était une explication satisfaisante des méridiens. Aussi, par « travailler avec les méridiens », j’entends « processus de développement du corps à partir duquel vous pouvez redécouvrir les fonctions énergétiques qui ont été perdues ou endommagées ».
C’est tout à fait impressionnant ! Combien de temps cela vous a-t-il pris pour découvrir cela ?
Cela m’a pris dix ans de recherches avec des bébés, à les filmer et à analyser leur développement avant de démontrer que ce lien avec les 12 méridiens existait vraiment.
Quand vous parler de méridiens, sont-ce ceux que nous apprenons en Occident (Vessie, Estomac, etc .), ou bien les méridiens classiques que l’on étudie en Asie comme Taiyang, Shaoyang, Yangming, etc. ?
Le développement du corps tend à montrer qu’il s’agit des méridiens classiques tels que le Taiyang (Vessie – Intestin grêle) ou le Yangming (Estomac – Gros intestin). Les capacités corporelles apprises à travers le mouvement et par le biais des anciens méridiens montrent qu’il s’agit toujours d’un mélange entre le Qi d’un méridien du bras et celui d’un méridien de la jambe, ce qui au final forme un méridien étendu (ndr : ou classique).
Pensez-vous que ces mouvements peuvent aussi s’expliquer à l’aide des méridiens tendino-musculaire ?
Les chaînes musculaires dessinées par les méridiens tendino-musculaire ont bien sûr des fonctions, mais dans bien des cas ils ne correspondent pas avec le schéma de développement du bébé. Ce sont les méridiens classiques qui suivent exactement le processus de développement. Toutefois, ce sont uniquement des connexions innées du corps au stade des premiers mouvements. Quand l’enfant apprend vraiment à contrôler son corps en mouvement, à développer une certaine élégance du geste ou des capacités athlétiques, les mouvements croisent la ligne centrale du corps et forment des connexions en spirale à travers le corps. Aucun méridien classique ne fait ça. Aussi, je pense que nous créons de nouveaux méridiens (peut-être même des méridiens qui nous sont personnels, uniques pour chaque individu) tandis que nous développons de nouvelles capacités motrices. Une grosse partie de mon travail se concentre sur l’aide que je peux apporter aux personnes pour qu’elles trouvent leurs méridiens, qui ne sont pas seulement liés aux muscles, mais à des connexions élastiques avec les fascias.
Travaillez-vous toujours avec les enfants aujourd’hui ?
Oui, bien sûr ! Pas autant qu’autrefois, parce que je passe surtout mon temps à enseigner maintenant. Mais quand je travaille avec eux, j’apprends toujours beaucoup, car j’ai une très bonne relation avec eux. Vous savez, quand je suis né, j’ai eu une forme moyenne de paralysie cérébral, dont j’ai entièrement guéri. Mais il dans le fait d’avoir été malade si tôt dans ma vie faite qu’il y’a quelque chose que les bébés comprennent. Du coup on a une super compréhension mutuelle les bébés et moi. En fait, j’adore travailler avec eux.
C’est merveilleux. À présent, pourriez-vous me dire pourquoi à un moment donné vous avez commencé à filmer les bébés ? Pourquoi était-ce important dans votre travail ?
Oh ! Au début des années 80, je travaillais avec Kay Coombes qui était thérapeute du langage, formé en kinésithérapie Bobath[i]. Elle s’était spécialisée dans les bébés avec une paralysie cérébrale et d’autres problèmes du développement. J’étais en train de la filmer tandis qu’elle stimulait les réflexes nutritifs en touchant tout autour de la bouche. Je remarquais alors que les effets de la stimulation voyageaient bien plus loin, vers le bas du corps, en suivant la ligne du méridien de l’Estomac. En fait, elle touchait le point Estomac 4 qui est censé un réflexe au niveau de la tête. C’était le cas, mais il y avait aussi un réflexe en bas du corps. Cela allait complètement à l’encontre de ce que la science pensait à l’époque. La science disait qu’en touchant une zone proche de la bouche, la bouche réagirait et c’était vrai. Mais personne ne s’attendait à ce qu’un autre réflexe apparaît plus bas dans la jambe ou au pied. Ce fut le premier indice qui m’a permis de comprendre l’existence du lien entre les réflexes et les méridiens. Nous avons refait ce test encore et encore sur plusieurs séances puis avec de plus en plus d’enfants, et cela a marché systématiquement. Le méridien de l’Estomac fut le premier que j’ai étudié de cette manière.
Donc d’abord il y’eut l’expérience, et ensuite la théorie. N’avez-vous jamais écrit un livre à ce sujet ?
C’est une très bonne question ! (rires). Cela fait presque 15 ans que j’essaye d’écrire un livre à ce sujet. À chaque fois que je suis presque à la fin, je trouve de nouveaux matériaux, ou je découvre quelque chose de nouveau et d’encore plus précis. Si vous êtes intéressé par mes recherches, j’ai déjà mis en ligne un grand nombre d’articles sur mon site web (placer le lien). Mais pour le livre il vous faudra attendre encore un peu.
Merci beaucoup pour votre temps.
Merci à vous aussi.
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Notes :
[i] Le Concept BOBATH ou NDT BOBATH CONCEPT (Neuro-Developmental Treatment » Bobath Concept) est un concept de rééducation développé dans les années 1940 grâce aux travaux et recherches de Madame Berta BOBATH (1907-1991), physiothérapeute et de son mari le Docteur Karel BOBATH (1906-1991), neurologue.
Aujourd’hui, le NDT Bobath Concept est une manière de penser et de prendre en charge les bébés, les enfants, les adolescents et adultes atteints de paralysie cérébrale (ou Infirmité Motrice Cérébrale) et autres troubles du développement neuro moteur.
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