Il y a dans le monde du Shiatsu des personnes proprement passionnante. C’est le cas de Bernard Corvi que nous vous présentons dans cette interview. Praticien de Shiatsu, puis enseignant, écrivain sur le sujet et enfin entrepreneur. Infatigable voyageur, travailleur, il met surtout tout son savoir faire en Shiatsu au service des plus faibles. Qu’on en juge : prisonniers, prostituées, escrocs, moines bouddhistes, curés… il s’occupe de tout le monde sans faire aucune distinction. Car pour lui, chaque être humain mérite d’être aidé.
Ivan Bel: Bernardo Corvi bonjour. Je suis très heureux de vous interviewer, car vous êtes une personne étonnante. Entrepreneur, vous avez développé la marque Tatamiportable.com, mais ce n’est pas ce qui m’intéresse aujourd’hui. Je voudrais que l’on parle des nombreuses choses que vous avez réalisées et de la dimension sociale qui vous anime à travers le Shiatsu. Pourriez-vous commencer par me dire qui êtes-vous, d’où venez-vous et comment le Shiatsu est arrivé dans votre vie?
Bernardo Corvi: Bonjour Ivan, merci pour l’opportunité que vous m’offrez. Je m’appelle Bernardo Corvi, je vis en Italie, dans un petit village rural appelé Lesignano de’ Bagni, dans la province de Parme. J’ai rencontré le Shiatsu je pourrais dire par hasard au début des années 80 du siècle dernier mais jusqu’à la fin des années 90 je n’ai pratiqué que sporadiquement, en autodidacte, une certaine pression. Au milieu des années 90 j’ai perfectionné ma formation avec l’une des écoles de Shiatsu les plus représentatives en Europe : l’Accademia Italiana Shiatsu Do. J’ai tout de suite senti l’énorme potentiel psychologique, social et humain que sa pratique offrait comme une opportunité. Cela m’a fasciné dès les premiers instants de pratique. La pratique m’a fait découvrir des opportunités et des possibilités de relations humaines intenses et profondes.
Je sais qu’historiquement parlant, le premier pays européen où le Shiatsu est arrivé est l’Italie. Pourriez-vous me dire qui fut le premier italien à apporter le Shiatsu dans votre pays. L’avez-vous connu d’ailleurs?
La première personne à amener le Shiatsu en Italie a été Rodolfo Palombini [i], qui a même été le premier européen à amener cette technique hors du Japon. C’est en 1964 qu’à la suite des équipes italiennes aux JO de Tokyo, il suit la formation du Nippon Shiatsu College de Namikoshi. En 1981 il fonde l’École Italienne de Shiatsu à Rome aujourd’hui dirigée par son fils, Fulvio [ii].
Les figures de référence pour le Shiatsu en Italie sont le maître Yuji Yahiro, qui depuis février 1974 a commencé à pratiquer et à diffuser l’étude du Shiatsu au Centre « Bu sen » de Milan. C’est dans ce centre en 1975 qu’une des figures fondamentales du Shiatsu en Italie a également commencé ses études : Mario Vatrini [iii]. Véritable chercheur, il avait des idées brillantes, apportant des contributions précieuses et offrant des contributions révolutionnaires à la pratique du Shiatsu en Italie.
J’ai rencontré Yuji Yahiro et assisté à un séminaire avec lui et assisté à un séminaire en 2004 où le fils de Rudy Palombini, Fulvio et Mario Vatrini étaient présents entre autres.
Aujourd’hui le Shiatsu est assez courant en Italie et il possède sans doute l’un des meilleurs niveaux d’Europe. Quelle est la situation du Shiatsu italien à présent ? Êtes-vous reconnu par l’État?
En Italie, le Shiatsu est une activité libre, le professionnel de Shiatsu n’est tenu d’avoir aucun diplôme, aucune inscription dans les registres, collèges, associations. Il n’y a pas de contraintes qui peuvent empêcher l’accès à la profession, n’importe qui peut exercer cette activité. Sauf s’il décide de faire de la pratique du Shiatsu son activité professionnelle, il devra se conformer à la réglementation en matière d’obligations fiscales, de cotisations, de respect de la vie privée, etc. Obligations non sollicitées pour ceux qui ont l’intention de pratiquer la discipline comme passe-temps, culture personnelle, bénévolat sans recevoir aucune compensation.
En Italie, une loi a été promulguée, la 4/2013, qui constitue la législation de référence en matière de « professions non organisées en ordres ou collèges », voire de « professions associatives » et prévoit la possibilité de constituer des associations à caractère privé pour les professions sans registre. La loi est promulguée conformément aux principes de l’Union européenne sur la concurrence et la libre circulation.
Les associations professionnelles de Shiatsu les plus importantes en Italie sont au nombre de trois : APOS, COS, FISIEO, qui exigent certaines conditions pour être reconnues par le MISE (Ministère du Développement Économique). Comme décrit ci-dessus, bien que l’adhésion à une association ne soit pas obligatoire pour la profession, ils représentent la figure du professionnel de Shiatsu vis-à-vis de l’État, garantissant la qualité de la formation et la transparence afin de certifier à l’utilisateur final la certitude d’une qualité professionnelle supérieure.
Revenons-en à vous. Le Shiatsu a été une telle révélation pour vous, que vous avez décidé très tôt de le proposer au-delà des frontières italiennes, notamment en donnant des cours au Mexique, à Cuba et à l’université de Brasilia, la capitale du Brésil. Racontez-moi ça s’il vous plaît. Comment cela s’est-il passé?
Au fur et à mesure que j’entrais dans la pratique, j’ai constaté que la qualité de ma vie augmentait en parallèle. Je me sentais et je me sens toujours satisfait et excité chaque fois que je place mes mains et que je pratique le Shiatsu avec des gens. Chaque contact est une nouvelle expérience intense et relationnelle qui transcende souvent les états de conscience.
J’ai découvert que grâce aux pratiques volontaires, le Shiatsu pouvait entrer dans tous ces endroits où les portes ne s’ouvriraient probablement pas, en particulier les zones de graves souffrances sociales. En gérant la formation d’une partie de ma région, pour l’école dont je faisais partie, j’ai eu l’opportunité d’organiser, également grâce à mes étudiants, diverses expériences de bénévolat telles que des pratiques dans des structures psychiatriques où j’étais déjà présent, la nôtre, mais aussi les villes de tentes qui ont hébergé les victimes du tremblement de terre en Émilie-Romagne en 2020, les expériences en prison aussi.
Cependant, un fait précis m’a amené au Brésil. J’ai collaboré très activement aux projets d’une association qui, malheureusement, aujourd’hui n’existe plus: Shiatsu Do volontariato. À son tour, cette association a soutenu des projets au Brésil à travers le projet « Fly » (Felipe de Lyon) dirigé par Donna Vittoria Garofalo, décédée il y a quelques années, connue de Mario Vatrini dans ses voyages liés à l’étude des conditions de transe en Umbanda [iv]. Le projet visait à offrir une éducation scolaire et un repas chaud quotidien aux enfants d’une ville située à quelques heures de route de Brasilia: Palanaltina de Goyas. À l’époque, je travaillais à la rédaction de mon premier ouvrage, un livre de poésie, inspiré par le mouvement intérieur né de ma pratique. Un fait terrible, la mort dans des conditions dramatiques de Valentina, à dix-huit ans, fille de ma collaboratrice et collègue la plus proche, m’a amené à me demander comment continuer le grand travail de cette fille et de sa mère en décidant de faire don de ses organes pour sauver la vie d’autrui. J’ai trouvé un éditeur sensible au projet et nous avons imprimé des exemplaires du livre, reversant tous les bénéfices au projet au Brésil. Cela m’a ouvert les portes de mon voyage très riche là-bas, profitant d’une formation Shiatsu initiée par un instructeur brésilien de notre école où j’ai agi comme superviseur en tant qu’instructeur « senior » de l’école et qui nous a amené à tenir quelques réunions avec des étudiants de la Faculté de physiothérapie de l’Université de Brasilia.
Tous mes livres ultérieurs, qui racontaient différents aspects de ma pratique, suivaient la mission dédiée à Valentina et, encore une fois, tous les bénéfices ont toujours été reversés pour soutenir divers projets de bénévolat en Italie et à l’étranger. Superviser la formation de certains de ces projets m’a conduit à San Cristobal de las Casa, Chiapas, et La Habana, Cuba. Je raconte nos expériences écrites par moi-même et un de mes collègues vivant à Cuba dans un autre livre (voir la liste des ouvrages en fin d’article).
Incroyable! Quelle histoire! Une autre initiative importante de votre part a été d’ouvrir le premier cours de Shiatsu au monde dans une structure résidentielle pour les personnes atteintes de troubles mentaux et ayant commis des crimes. C’est impressionnant! On pourrait avoir peur de telles personnes, mais apparemment ce n’a pas été votre cas. Comment avez-vous procédé avec l’administration du lieu et avec ces gens? Quels furent les résultats?
Le projet de réaliser un cours de Shiatsu à l’établissement REMS (Résidence pour l’Exécution des Mesures de Sécurité) de Casale di Mezzani (Parme) est né de la volonté de l’ARS (Agence Régionale de Santé) [v] de Parme, d’inclure la pratique du Shiatsu dans ses programmes éducatifs destinés aux hôtes de l’établissement, dont l’efficacité avait déjà été testé durant plus de quinze ans de traitements reconnus par la Direction de la santé mentale et des toxicomanies pathologiques. L’organisation dans l’établissement de Casale di Mezzani, qui a débuté en septembre 2015 (année d’ouverture de cet établissement) et a été également renouvelée pour les années suivantes, a effectivement prévu des soins pour tous les clients de l’établissement. Aucun exclu!
La loi 81 de 2014 a créé un établissement de santé en Italie qui n’a pas d’égal dans le reste du monde. Le chemin a commencé il y a plus de 40 ans, avec la fameuse loi 180 de 1978 qui a décrété la fermeture des hôpitaux psychiatriques. Avec cette loi, une ère s’est terminée, celle du traitement pénal des aliénés. Selon la Constitution italienne, quiconque a été jugé incapable de comprendre et de vouloir dans le moment où était en train de commettre un fait qui constitue un crime, ne peut être poursuivi. Jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi, les patients psychiatriques qui commettaient des délits étaient incarcérés dans des structures appelées « Hôpitaux Psychiatriques Judiciaires » qui étaient en fait des asiles de criminels. Ce sont des lieux où, paradoxalement, ceux qui ont commis un crime causé par leur pathologie se retrouvent à purger une peine plus lourde que ceux qui ont commis le même crime sans pathologie. Les REMS ne sont pas des structures judiciaires mais des structures de santé dans lesquelles les personnes sont prises en charge par le magistrat compétent et répondent à des exigences spécifiques. La mission principale de ces structures, qui répondent à une psychiatrie communautaire, repose sur le principe du « rétablissement » et le projet principal est la mise en place d’un projet thérapeutique individualisé visant à redécouvrir et valoriser les capacités uniques de chaque individu. Le but principal de la structure, en plus de garantir la sécurité des soins pour ceux qui en ont besoin (sanctionnée par la constitution), est sa réinsertion dans la société, en aidant à briser le danger social que l’acte commis a entraîné.
Le cours, comme on pouvait le supposer, était un cours expérimental ouvert aux opérateurs et aux hôtes de l’installation et a conduit à des résultats exceptionnels, que je rapporterai dans mon prochain livre : « Un état d’être particulier, aspects psychologiques, sociaux et humains de la pratique du Shiatsu dans le domaine social », à la fois pour les invités et les opérateurs impliqués dans le projet mais aussi pour le responsable de l’établissement. Un parcours futuriste qui a profondément touché nos motivations, nos peurs et nos angoisses et a donné des émotions intenses en retour, a surmonté barrières et préjugés en faisant découvrir la personne plutôt que son crime.
Est-ce que c’est cette expérience qui vous a poussé à donner des traitements dans le milieu carcéral, à la prison de «La Pulce» en région Emilie-Romagne?
Non, en réalité c’est tout le contraire, c’est grâce aux expériences de bénévolat à la fois dans la prison – d’abord à la prison pour mineurs Beccaria à Milan puis à celle de Reggio Emilia -et mon travail de traitements Shiatsu réalisé pendant de nombreuses années dans le domaine psychiatrique, que j’avais les compétences pour m’impliquer dans un projet aussi grandiose que celui de REMS ; effectuer les traitements avant et après le cours. Les projets en prison sont nés grâce à la compétence d’un de mes collègues de Milan en ce qui concerne les mineurs et à la volonté d’un de mes élèves, employé dans la municipalité de Reggio Emilia, qui a exprimé son intention d’amener nos traitements en prison. A ce moment j’ai accepté et grâce à la collaboration entre nous, moi avec mes compétences, lui avec ses connaissances. Et grâce à l’intérêt du conseiller pour les politiques sociales de la commune, nous avons rédigé un projet avec le directeur de la prison. Le grand aspect humain de ces expériences sera également reflété dans mon prochain livre.
On peut dire que vos expériences vont toutes dans la direction de l’ouverture du Cœur. Et c’est alors qu’en mai 2012 survient le terrible tremblement de terre de Mirandola, toujours en Emilie Romagne. Je me souviens qu’il y a eu des morts, de nombreux blessés et surtout beaucoup de bâtiments détruits. Que faites-vous alors lorsque vous apprenez cette situation?
Encore une fois, c’est la collaboration qui permet de penser à de si grands projets d’accompagnement. Le rôle de formateur est une mission qui peut offrir de larges horizons à la fois aux étudiants, en leur donnant l’opportunité d’avoir des expériences très intenses, et dans un certain sens aussi elles furent profondément spirituelles, et pour le chemin de croissance de l’enseignant lui-même. Il est très agréable de se rendre disponible pour les rêves des étudiants si vous savez que vous avez les compétences nécessaires pour pouvoir les réaliser ensemble. Voici le rôle de l’enseignant, c’est-à-dire d’identifier ce qui réside dans l’âme de ses compagnons de voyage, d’en vérifier la cohérence et la faisabilité et de faire naître les expériences dictées par le Cœur, comme vous le soulignez à juste titre. Une discipline devient ainsi une expérience de vie. Organiser notre présence dans les villes de tentes de Mirandola a été un travail fatiguant qui impliquait des motivations morales et spirituelles ainsi que ma résistance physique. Nous avons apporté du soutien à des personnes qui avaient tout perdu mais qui se sont retrouvées, ne serait-ce que pour quelques instants, dans une bulle de paix et de sérénité. Nous avons pratiqué dans les tentes mises à disposition par la protection civile, grâce au mécénat de la municipalité de Mirandola, où, même avec des climatiseurs, les températures descendaient rarement en dessous de 50 degrés. Plus de 70 praticiens de toute l’Italie, de toutes les écoles, ont été impliqués. Le projet a conduit à l’écriture du livre « Les anges du Shiatsu » (voir en fin d’article), aujourd’hui épuisé.
J’imagine que de vivre une situation d’urgence a dû être à la fois un moment difficile humainement parlant, mais fantastique dans le même temps de voir ce que le Shiatsu peut faire pour les populations en détresse. Du point de vue professionnel, qu’avez-vous retiré de cette nouvelle expérience? Est-ce que cela a changé votre Shiatsu?
Vous avez raison, la pratique du Shiatsu dans un contexte de souffrance, qu’il s’agisse de populations ou d’individus en difficulté, nous fait comprendre la véritable importance de la discipline qui se transforme ainsi en art. Sans aucun doute, le Shiatsu est une technique qui utilise des pressions apportées avec la paume des mains, les pouces, les avant-bras, les coudes et apporte un bénéfice aux tensions musculaires, aux inconforts de toutes sortes en stimulant la force vitale intrinsèque de chaque personne. Mais depuis des années en Italie on commence à penser à un Shiatsu non thérapeutique, qu’on pourrait appeler un Shiatsu de valeurs. Le Shiatsu fonctionne précisément parce qu’une relation intrinsèque s’établit entre les deux personnes impliquées dans un traitement, permettant une meilleure condition selon le potentiel, les temps et les méthodes propres à chacun. Cela répond certainement à la vérité, cependant, que le Shiatsu est une discipline évolutive. La meilleure qualité de vie que cette pratique génère, en plus de la réponse aux stimuli que créent les pressions, est profondément liée au fait que les deux personnes sont des protagonistes, dans un processus qui répond à un sentiment de réciprocité ; relation qui conduit à exprimer la meilleure partie d’un couple et où il existe une relation de qualité. La voie est ouverte à un état de changement profond qui conduit à un niveau de conscience supérieur. On peut alors définir, sans l’ombre d’un doute, le Shiatsu comme une rencontre, un moment où surgit une conversation spontanée et délicate, qui s’exprime à travers un code non verbal. Un langage attentionné, poli et surtout à l’écoute. Une manière de s’exprimer qui, libérée de la grossièreté et de la superficialité, en vient parfois à toucher des couches profondes de la conscience. J’ai toujours été d’accord avec mon ami Francisco Contino, chef de projet à Cuba [vi] lorsqu’il définit que « le Shiatsu n’est pas un massage, mais un message ». La façon de faire le Shiatsu change pression après pression, expérience après expérience, relation après relation. Si c’est vers cela qu’il existe un Shiatsu pour le bien-être il est vrai qu’il existe aussi un Shiatsu pour le soulagement. Le bien-être est à la portée de beaucoup mais le soulagement, en revanche, pourrait être une condition très difficile à atteindre pour d’autres, qui ont toujours été engagés dans un chemin difficile d’inconfort qui peut être physique, social, humain. Voici donc un Shiatsu qui écoute, pas qui cherche, qui s’adapte, pas qui impose le changement, qui perçoit le sens de son toucher.
À travers votre vie de praticien de Shiatsu on voit combien la dimension sociale et humanitaire est très présente chez vous et je dois dire que je trouve cela magnifique. Aujourd’hui vous donnez des séminaires spécifiques de «Shiatsu dans un contexte de détresse sociale grave». Pouvez-vous me dire rapidement en quoi cela consiste?
Cela peut paraître étrange mais les séminaires que j’organise en dehors du domaine de la formation ne concernent surtout pas l’enseignement de nouvelles techniques, domaine dans lequel de nombreux collègues sont bien plus compétents que moi, mais plutôt l’épanouissement personnel à travers la pratique du Shiatsu. Je vous apporte le commentaire d’un praticien de Rome qui me semble le plus représentatif. Il a déclaré : « J’ai assisté à de nombreux séminaires et à de nombreux très bons professeurs mais ce séminaire est le seul qui m’a ramené à moi-même ».
Il n’y a aucune méthode particulière pour pratiquer le Shiatsu dans un contexte de détresse sociale sévère qui n’est pas ce que nous faisons déjà tous les jours. Dans mes séminaires, je ne propose donc pas de stratégies nouvelles ou même «miraculeuses». L’essentiel est de nous ramener à nous-mêmes. C’est-à-dire un chemin de prise de conscience qui permet d’utiliser la technique déjà possédée pour s’y reconnaître, ensemble avec l’autre, unis par une envie de partager des émotions, des états d’âme, des souffrances, mais aussi des moments de soulagement. Une démarche de redécouvrir ce que l’on sait déjà faire, donc, mais avec une plus grande attention pour reconnaître la douceur dans nos mains qui nous permet de nous accueillir et de communiquer les uns avec les autres. Un processus qui nous rappelle toujours de ne pas imposer mais d’écouter. De ne pas vouloir, mais de voler avec l’autre, en le reconnaissant comme une partie complémentaire de nous. Par conséquent, une croissance intérieure est nécessaire qui nous permette de percevoir, à chaque instant de la relation, que le moment le plus important d’un traitement Shiatsu est celui que vous vivez à ce moment précis. Faites attention à la respiration, au relâchement des tensions musculaires, pour sentir ce poids qui repose sur le corps de l’autre personne et le pénètre profondément. Profondeur dans les tissus, dans les bandes, mais aussi profondeur de sentiment, de relation.
Tout passe aussi par la proposition de méditations et, selon le contexte, la récitation de mantras.
A quel moment de votre vie vous êtes-vous dis qu’en plus du Shiatsu vous alliez également faire des tatamis de massage et en faire un commerce?
Depuis plus de quinze ans je fabrique ces tatamis transportables[vii]. Je les produis tous un par un, dans un petit atelier que j’ai près de la maison. J’ai commencé parce que j’avais remarqué la nécessité pour les étudiants et les opérateurs professionnels, c’est-à-dire d’avoir un poste de travail qui puisse être transporté confortablement, léger, confortable et très doux pour les genoux. J’ai testé de nombreux matériaux jusqu’à ce que je trouve ceux que j’utilise actuellement qui sont de la plus haute qualité technique. Grâce au fait que je m’entraînais tous les jours sur ces tatamis, j’ai pu concevoir des mesures spécifiques, et tester les qualités nécessaires pour avoir un produit haut de gamme. Depuis plus de quinze ans, j’en produis au moins 250 par an et je les expédie non seulement dans toute l’Italie mais aussi dans la plupart des pays d’Europe. Mes tatamis sont également présents à Cuba, au Mexique, en Martinique, au Brésil et dans d’autres parties du monde. J’ai pu réaliser ces tatamis car à la base j’étais cordonnier de métier. Je connaissais la couture à la machine et j’ai encore plusieurs machines à coudre. Savoir que même à travers l’utilisation de mes tatamis j’ai donné l’opportunité de pratiquer confortablement à des milliers de personnes me remplit de joie et me fait aussi me sentir en partie protagoniste de la diffusion de la pratique du Shiatsu dans le monde. C’est un sentiment agréable.
Lorsque j’ai lancé la plateforme MSH, vous êtes un des premiers à m’avoir spontanément contacté pour me proposer des dons de votre matériel à tous les praticiens qui souhaitent faire de l’humanitaire. Merci beaucoup pour votre générosité. Je voudrais conclure cette interview par un message de votre part, directement adressée à la communauté Shiatsu qui va vous lire en français.
C’est moi qui vous remercie. Quand j’ai vu le travail que vous faisiez sur MSH, je me suis senti impliqué et je sais que je peux aider les gens qui mettent tout leur cœur dans ce qu’ils font pour rendre leur pratique plus facile, plus confortable. Cela peut sembler étrange, mais quand je sens que je peux aider les gens à mieux faire leur travail, je me sens heureux. J’ai senti combien il est fatiguant de pratiquer le Shiatsu dans des conditions extrêmes et de cette façon j’ai l’impression qu’une petite partie de moi sera impliquée dans les traitements que vous donnez dans vos projets.
Je voudrais conclure avec quelques phrases issues de mon prochain livre :
«Dans ma vie, j’ai pratiqué avec des moines bouddhistes, des curés, des laïcs. J’ai traité des hommes qui avaient tué leurs semblables, des escrocs, des voleurs, des prostituées. J’ai fait des séances de Shiatsu à des personnes éclairées mais aussi à des personnes normales, celles de tous les jours. Pourtant… chaque fois que j’ai mis la main sur chacun je n’ai jamais perçu de différence dans leur vitalité, dans leur esprit profond, cette « chose », c’est-à-dire qui imprègne l’âme ancestrale des gens et les rend, en tous cas, constitué de la même essence qui compose chaque être vivant.
Le cœur de chaque personne bat, chaque personne a du sang et du Qi, un concept fondamental de la culture chinoise, à l’intérieur du corps. Chaque personne a des sentiments. Tout le monde, sans exception, a de l’amour pour quelqu’un.
La race humaine a un immense besoin d’amour pour affronter son propre chemin vers l’illumination, pour vaincre la haine. Des sentiments nobles mais simples qui s’expriment souvent par des actions bienveillantes.
« Ma religion n’en est qu’une : la gentillesse »
enseignait S.S. le XIVe Dalaï Lama.
Des actes pleins d’intention et d’attention, qui génèrent de la reconnaissance, de la gratitude. La reconnaissance est un acte d’amour.
Merci beaucoup pour votre témoignage, c’est une chance de croiser une personne comme vous.
Avec plaisir.
Auteur: Ivan Bel
Traduction: Stefano Reali
Livres de Roberto Corvi
- Altri amici, un piccolo diario di esperienze Shiatsu in psichiatria e in prigione ; (éd. Académie italienne Shiatsu Do),
- Gli angeli dello Shiatsu ; éd. DB communication, 2013
- Incontrare il Tao a La Havana e altrove ; éd. DB communication
- Non sei solo… La pratica dello Shiatsu in ambito sociale ; éd. Mowie & Web
- [i] Rodolfo Palombini (Rudy 1930 – 1994) a introduit le Shiatsu en Italie. Fondateur de l’École italienne de shiatsu – S.I.S. (1979), expert en masso-kinésithérapie, il a obtenu en 1964 le premier diplôme européen de Shiatsu-thérapeute à la Nippon Shiatsu School (aujourd’hui Japan Shiatsu College) alors dirigée par Maître Tokujiro Namikoshi. R. Palombini a approfondi ses études sur le Namikoshi Shiatsu en l’introduisant dans la thérapie de réhabilitation et la traumatologie sportive. L’expérience acquise au fil des ans, les années de notes, de tests et de recherches ont abouti à l’évolution naturelle du shiatsu Namikoshi vers la méthode Palombini, une codification minutieuse d’un système adapté aux besoins du monde occidental.
- [ii] En 1994, le fils de Rudy, Fulvio Palombini (né en 1955), rhumatologue et professeur de physiothérapie à l’université de Rome « La Sapienza », a repris l’école. Fulvio Palombini, fidèle à sa formation de médecin, dans le respect de son activité professionnelle, la rééducation motrice, œuvre pour que le monde scientifique tourne son regard vers le Shiatsu de Namikoshi, pour en évaluer l’efficacité par l’expérimentation.
- [iii] Mario Vatrini est décédé en 2007. Il n’y a qu’un seul livre en circulation écrit en 1998, intitulé « Strategie di Shiatsu« . Bernardo me dit : « J’ai une version publiée par Curcu et Genovese editore 2004. Dans la courte légende, au dos de la couverture, il est simplement indiqué : « Mario Vatrini, élève direct des Maîtres Yahiro et Masunaga, pratique le Shiatsu depuis 1975 et est diplômé du style Iokai à Tokyo en 1977. Il a une école de Shiatsu « Majinai ». Il est connu pour sa compétence ».
- [iv] En 1992-93 Mario Vatrini a passé quelques mois au Brésil pour expérimenter personnellement les conditions de transe de l’Umbanda, cultes syncrétiques nés du contact entre les religions traditionnelles africaines et le christianisme, proche du Cadomblé originaire de Rio de Janeiro. Ce séjour l’a amené à connaître et à approfondir la relation d’amitié et de collaboration avec Donna Vittoria Garofalo, fille d’immigrés italiens et fondatrice du projet Fly (Felipe de Lyon) basé à Planaltina de Goyas qui visait à faire don d’une éducation et d’un repas chaud aux enfants de la localité.
- [v] En italien ASL (Azienda Sanitaria Locale)
- [vi] Pour en savoir plus sur cette mission à Cuba, lire cet article en italien. A propos de Francisco Contino, voici ce qu’en dit Bernardo Corvi: «J’ai écrit le livre « À la rencontre du Tao… » avec Francisco. Dans sa présentation, sur le livre, il rapporte ceci : « FRANCISCO CONTINO. Quand, pour une raison quelconque, il a dû rédiger son curriculum vitae, Francisco s’est rendu compte que tout au long de sa vie, il est venu prendre des décisions importantes tardivement ; la personne classique qui ne comprend ce qui l’intéresse vraiment qu’après avoir perdu des années à faire ce qui ne l’intéresse pas vraiment. On peut dire qu’il souffrait d’un décalage temporel chronique. Cela peut être dit de ses études universitaires, de son travail d’employé puis d’enseignant et ainsi de suite de toutes les autres étapes importantes de sa vie. Un trait qui s’est répété pour ses deux plus grands amours, le Shiatsu Do et surtout sa fille Annabella. L’avantage était que sortir avec des gens plus intelligents et plus jeunes le faisait se sentir plus jeune que son âge : l’inconvénient était qu’il souffrait d’un sentiment d’inconfort pour avoir été si tard à comprendre. Un jour, visiblement tard et visiblement à Cuba, il rencontre les 4 lois de la spiritualité de SAI BABA, en particulier la troisième : QUEL QUE SOIT LE MOMENT QUI COMMENCE EST LE BON MOMENT Alors maintenant, lorsqu’il doit remplir son curriculum vitae, il se limite à écrire : Francisco a su dans sa vie prendre toutes les décisions importantes au bon moment.
- [vii] Pour voir les produits vendus, aller sur https://www.tatamiportable.com/
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